Espionnage de votre conjoint ou de vos enfants: prison avec sursis pour le développeur de l’application Fireworld par jugement du 4 février 2019

By thierryvallatavocat

Plusieurs applications sont désormais disponibles sur internet et spécialement conçues pour surveiller votre conjoint ou vos enfants.

Les unes vont venir bloquer le portable de votre adolescent ou votre mari si ce dernier ne répond pas à vos appels, les autres permettant ni plus ni moins d’installer un logiciel espion sur le téléphone de votre femme, pour tout savoir de ses faits et gestes.

Attention: ces dispositifs sont illégaux en France que ce soit à la vente ou pour leur utilisation !

Permettant  la surveillance de l’activité de votre progéniture en temps réel, mais aussi l’enregistrement de la frappe au clavier  grâce à un keylogger), comme le contrôle à distance,  l’activation de l’enregistrement audio et de la webcam, la récupération des mots de passe, la géolocalisation de l’ordinateur, ces applications constituent l’outil du parfait parent espion !

C’est ainsi que le logiciel espion Fireworld Controller, qui était proposé en version pro à 54,99 €(et même « pro entreprise » à 100 € de plus) avait défrayé la chronique en 2017. Ce logiciel avait surtout  fait parler de lui pour sa désastreuse accroche publicitaire homophobe « découvrez si votre fils est gay » comme justification de l’espionnage parental ! 

L’association “Amicale des jeunes du refuge” avait signalé les faits tant  auprès de la plateforme de signalement Pharos qu’aux autorités judiciaires. 

L’enquête a ainsi permis de découvrir que le site, anonymisé et hébergé auprès d’un fournisseur de services internet suisse, proposait  des outils et programmes en vue de capter des données à distance à l’insu de sa cible. Des arguments de vente et exemples divers étaient ainsi proposés comme : surveiller l’activité de ses enfants et adolescents sur la toile, surveiller l’activité de ses employés au sein d’une entreprise, déceler l’infidelite de son conjoint dans un couple etc.

Les investigations permettaient d’identifier le titulaire du site internet « FIREWORLD.FR ». L’analyse du logiciel FIREWORLD CONTROLLER en vue d’établir l’ensemble des fonctionnalités, révelait que l’outil pouvait etre utilisé aux fins d’espionner et de surveiller l’activite d’un tiers utilisateur. Le développeur avait potentiellement accès aux données ainsi collectées par les clients utilisateurs du logiciel, celles-ci transitant sur un serveur localisé aux Etats-Unis pour y être stockées. Une partie de ces données pouvait etre accessible par un tiers malveillant au regard des failles de sécurité présentes quant au stockage de ces informations.

L’historique de transactions lié aux téléchargerments des logiciels mettait en évidence sur une période de mars 2016 à août 2017 un gain de près de 31.143,07€ pour la vente de ces logiciels-espions.

Or, en France, l’utilisation de telles applications à l’insu du propriétaire du téléphone, fusse-t-il un enfant est illégale: la mise en place de logiciels pour espionner et surveiller les sites consultés par un proche, le piratage de sa boite mail, ou tous autres procédés destinés à surveiller ses échanges sont considérés comme frauduleux.

Le développeur du logiciel avait donc été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir:

– détenu, offert,  cédé ou mis a disposition   sans  motif  legitime   un  équipement,   un  instrument,  un  programme   ou donnée conçu ou adapté pour une atteinte  au fonctionnement d’un  systeme  de  traitement  automatise de donnees,  en  l’espece en  proposant  à la vente et en  vendant  des logiciels  espions  avec  de nombreuses fonctionnalités, notamment celle de porter atteinte au fonctionnement d’un systeme de traitement automatise de donnees, sur le site fireworld., faits prevus par les articles 323- 3-1, 323-1 alinéa. I  et reprimes par les articles 323-3-1, 323-l AL. l, et 323-5 du code pénal.

– fabriqué, offert ou vendu sans autorisation un dispositif technique ayant pour objet le captation de données informatiques en l’espece en fabriquant des logiciels espions avec de nombreuses fonctionnalites, notamment celle  de  capter  des  données  informatiques,  faits  prevus  par  les articles  226-3  l°  ,      R.226-1, R.226-3 du code pénal. les articles 706-102-1 et 706-102-2 du C.P.P. l’article.L.853-2 du C.S.I. l’article I de l’ARR.MINIST du 04/07/2012 et reprimés par l’article 226-3 AL.I et l’article 226-31 du code pénal

A l’audience, le prévenu a expliqué qu’en tant qu’étudiant, il avait voulu tester ses capacités de programmation, avec un logiciel de chat et s’etait rendu compte qu’on pouvait acceder à distance. II avait perfectionné le logiciel au fur et à mesure qu’il progressait. II avait vendu ce logiciel comme le faisaient d’autres entreprises, il avait eu entre 500 et 1000 clients. II avait admis un chiffre d’affaires de 31.143,07€.

Il avait enfin precisé aux magistrats que son argument de vente n’etait que du marketing et qu’à la base le logiciel  devait  servir aux parents à proteger les enfants de contenus  inappropriés, l’argument  de vente  n’étant « que du marketing », niant ainsi le caractère homophobe pourtant patent.

Cette défense n’a guère convaincu les juges de la 12ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris qui l’ont condamné le 4 février 2019 à une peine d’emprisonnement délictuel de huit mois avec sursis, la confiscation de plusieurs scellés et de la somme saisie sur ordonnance pénale de 14.923,45 euros.

L’affaire ne devrait pas en rester là. Outre un appel éventuel,  selon Le Monde, l’enquête des cyber gendarmes du centre de luttes contre les criminalités numériques (C3N)  a permis de remonter aux clients de la société Fireworld. L’utilisation d’un tel logiciel espion étant illégale, plusieurs dizaines de procédures vont être lancées en France.

Espionner le téléphone portable d’un tiers constitue en effet une atteinte à sa vie privée.

Selon le code pénal, l’enregistrement des paroles sans le consentement, tout comme la violation du secret de la correspondance, sont par exemple punis d’une peine d’un an de prison et d’une amende de 45 000 euros (article 226-15 du code pénal).

Cette affaire, qui constitue une première sur ce type de dispositifs, est édifiante et démontre sans conteste que la vente sans autorisation de keyloggers et d’appareils de surveillance, ainsi que leur publicité lorsqu’elle «constitue une incitation» à un usage illicite de ce type d’outil, est prohibée.

Le message est donc clair:  on ne peut se faire impunément de l’argent en violant la vie privée des gens et encore moins en usant d’arguments marketing homophobes, ce qu’à justement souligné l’association “Amicale des jeunes du refuge”.

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